Le paradoxe des acquis sociaux en France face à l’explosion du consulting comme solution de contournement

Les « acquis sociaux » sont une fierté nationale en France. Résultats de décennies de luttes syndicales, ils visent à protéger les salariés et garantir leurs droits. Mais cette protection, pensée comme un rempart contre les abus, a généré un paradoxe inattendu : elle freine l’emploi stable et pousse les entreprises à contourner le système en passant par des solutions externes comme le consulting.

Le résultat ? Un recours massif aux consultants pour éviter les contraintes du droit du travail, une transmission du savoir compromise et une image floue pour les cabinets de conseil. Et si la solution résidait dans une réforme du système ?

Un droit du travail qui freine l’embauche

Le droit du travail en France, bien qu’essentiel pour protéger les salariés, impose des contraintes souvent lourdes :

  • Des licenciements complexes et coûteux : En cas de procédure prud’homale, un licenciement peut coûter en moyenne 27 000 euros et durer jusqu’à 18 mois.
  • Des charges sociales élevées : Elles représentent jusqu’à 45 % du salaire brut, augmentant significativement le coût total d’un salarié pour l’entreprise.
  • Des seuils sociaux dissuasifs : Les obligations administratives, comme la mise en place d’un Comité Social et Économique à partir de 50 salariés, freinent la croissance des entreprises.

Face à ces contraintes, l’embauche en CDI devient un pari risqué, incitant les entreprises à chercher des solutions alternatives.

Le consulting : une échappatoire coûteuse mais efficace en France

Pour éviter ces contraintes, de nombreuses entreprises font appel à des cabinets de conseil, toujours plus nombreux chaque année. Cette pratique leur permet :

  1. De conserver une flexibilité totale : Un consultant peut être « remercié » sans les formalités d’un licenciement.
  2. D’éviter les risques juridiques : Les consultants ne sont pas soumis au droit du travail classique.
  3. De contourner les blocages sociaux : Les consultants, externes, ne participent ni aux grèves ni aux revendications internes.

Cependant, cette solution a un coût : un consultant est souvent facturé autour de 1 000 euros par jour, soit bien plus qu’un salarié interne pour des tâches équivalentes. Malgré cela, les entreprises préfèrent cette flexibilité à des contraintes qu’elles jugent insupportables.

Consulting : expertise ou contournement ?

Le consulting, dans sa forme actuelle, est devenu un mélange de deux réalités très différentes :

  • Le consulting spécialisé : Ces missions, justifiées, apportent une expertise stratégique ou technique essentielle (ex. cybersécurité, mise en conformité, transformation digitale..). Elles sont coûteuses mais légitimes.
  • Le consulting généraliste : Une grande partie des missions en France concerne des tâches non spécialisées. Ces consultants sont souvent jeunes et affectés à des projets opérationnels pour pallier un manque de flexibilité interne. Ce modèle, davantage motivé par des contraintes administratives que par des besoins réels, nuit à l’image du secteur.

En 2023, environ 60 % du marché du consulting en France était lié à ces missions « bullshit », un symptôme direct des rigidités du droit du travail. Et cette même année, c’est près de 50 % des diplômés des écoles de commerce et 30 % des diplômés d’écoles d’ingénieurs qui ont débuté leur carrière dans un cabinet de conseil, selon une étude de l’Association Française des Grandes Écoles.

Et si on réformait le droit du travail ?

Une réforme du droit du travail, visant à simplifier les embauches et alléger les contraintes administratives, représenterait une opportunité majeure pour transformer cette dynamique. En permettant aux entreprises d’embaucher directement sans craindre les lourdeurs actuelles, un tel changement aurait des répercussions positives non seulement pour les employeurs, mais aussi pour les salariés et même pour le secteur du consulting lui-même :

-> Des embauches plus directes et moins coûteuses

Avec des licenciements simplifiés et des charges sociales allégées, les entreprises n’auraient plus besoin de contourner le système. Elles pourraient recruter directement pour répondre à leurs besoins, limitant ainsi le recours aux consultants généralistes.

-> Une stabilité accrue pour les salariés

En intégrant des profils aujourd’hui externalisés, les entreprises renforceraient leur équipe permanente. Cela offrirait aux salariés des opportunités stables, avec une montée en compétences progressive et des carrières mieux construites.

-> Une transmission du savoir facilitée

Aujourd’hui, le recours massif à des consultants de passage empêche souvent la transmission des connaissances. Avec des équipes internes renforcées :

  • Les compétences resteraient au sein de l’entreprise.
  • Les savoirs pourraient être transmis de génération en génération, évitant la « perte de mémoire organisationnelle ».

-> Une meilleure image pour le consulting

En réduisant les missions de contournement, le consulting se recentrerait sur son cœur de métier : l’apport d’expertise. Ce repositionnement redorerait l’image des cabinets de conseil, qui retrouveraient leur rôle stratégique plutôt que celui de solution temporaire.

Conclusion : un souffle nouveau pour le travail et le conseil

Le droit du travail en France, conçu pour protéger les salariés, a involontairement créé un cercle vicieux : il freine l’embauche directe et nourrit un marché du consulting souvent détourné de sa vocation première. Mais réformer ce système ne signifie pas sacrifier les droits des travailleurs, bien au contraire. Cela offre une chance de bâtir un cadre moderne, agile et efficace, qui encourage les entreprises à recruter directement, valorise les talents en interne, et repositionne le consulting comme un véritable moteur d’expertise et d’innovation.

En permettant aux cabinets de se recentrer sur des missions stratégiques et en offrant aux salariés des opportunités plus stables, la France pourrait enfin réconcilier flexibilité et sécurité. Ce serait une évolution bénéfique pour tous : des entreprises plus performantes, des travailleurs mieux intégrés, et un secteur du conseil enfin débarrassé de son image de « solution par défaut ». Le moment est venu d’oser changer et de construire un modèle économique équilibré et prometteur pour l’avenir.

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